De manière générale, les médias participent à la construction d’une « mémoire culturelle », c’est-à-dire un ensemble de souvenirs du passé qui prennent sens pour les individus ancrés dans le présent. Ces souvenirs, loin d’être statiques, circulent à travers les interactions entre les hommes, les médias, les flux migratoires, les diasporas, etc. Les jeux vidéo contribuent à cette circulation : entre inspiration, reprise et réinvention, la mémoire culturelle vidéoludique est souvent revisitée par les créateurs, voire les joueurs eux-mêmes. Ces derniers se la réapproprient pour nous (re)proposer des jeux qui, bien que novateurs, ou du moins nouveaux, reprennent, pérennisent et transforment des codes qui nous raccrochent à des œuvres de notre passé de joueur. Manette en main, on se met alors à éprouver une impression de nostalgie, souvent nimbée de joie et d’ivresse.
Côté game design, les technostalgies et les skeuomorphes permettent, au creux des oeuvres vidéoludiques, d’insérer, par emprunt, imitation ou réinvention, des repères qui vont produire chez le joueur un effet de nostalgie.
Comment définir la nostalgie ? Dans le numéro 46 de la revue Recherches en communication, Katharina Niemeyer, professeure à l’Université du Québec à Montréal en École des médias, revient sur l’histoire de la notion. Elle explique que si ce sentiment apparait déjà dans l’Odyssée d’Homère, le mot, lui, pope en 1688, dans la thèse de médecine du Suisse Johannes Hofer, qu’il publie à 19 ans sous le titre Dissertatio curiosa-medica, de nostalgia, vulgo : Heimwehe oder Heimsehnsucht. Forgé à partir des termes grecs nostos (le retour) et algia (la douleur), c’est la première fois qu’est décrit le « mal du pays », que le thésard envisage comme un traumatisme qui touche particulièrement les mercenaires suisses partis combattre. Dès le 17è siècle, des « médi(a)caments » permettent d’apaiser les symptômes des nostalgiques : images, objets, sons et récits en tous genres donnaient aux « malades », malgré leur exil, la possibilité de retraverser le temps et l’espace. Et c’est leur imagination, stimulée par ces « médias » (l’accent du pays, une photographie, une chanson typique, etc.), qui « guérissait » le mal du pays. Ainsi d’abord reliée à l’espace et au déplacement, la nostalgie se définit plus tard dans sa dimension temporelle : une vague de philosophes, à l’instar de Kant, l’envisagera comme le désir d’être jeune à nouveau. Aujourd’hui, la nostalgie caractérise souvent les individus qui, en quête d’identité et au cœur d’une jungle sociale mondialisée, cherchent à qui et à quoi ils appartiennent, mais aussi celles et ceux qui ressentent comme un regret de quelque chose qui pourrait, ou aurait pu exister dans le futur.
La nostalgie du joueur
Ce que le joueur nostalgique recherche avant tout dans un jeu vidéo, c’est une trace de ses expériences vécues, un souvenir qui ressurgit du passé dans le présent et qui pourrait se reforger au gré de ses pérégrinations dans le nouvel univers vidéoludique qu’il explore. Nos collections, de l’étagère à goodies aux coffres à jeux rétro, en passant par la bibliothèque de magazines ou le meuble envahi par les consoles des anciennes générations, sont à ce titre comme une trajectoire de nos goûts. L’expérience nostalgique est ainsi forcément personnelle : bien qu’elle puisse être partagée, elle s’ancre originellement dans un passé singulier et déterminé, alimentant parfois nos rêves les plus fous de joueurs passionnés (en ce qui me concerne : un reboot de Baten Kaitos – ou la localisation, au moins, de sa préquelle –, un Zelda à la Paper Mario, une suite pour Skies of Arcadia ou pour StarFox Adventures, un nouveau Jet Force Gemini, une revisite de Vigilitante 8 ou de Wave Race, etc).
Ce que le joueur nostalgique recherche dans un jeu vidéo, c’est une trace de ses expériences vidéoludiques vécues, un souvenir qui ressurgit du passé dans le présent et qui se reconstruit dans le nouveau monde qu’il explore. […] Parfois musées privés dont l’une des fonctions est de sauvegarder la mémoire vidéoludique, nos collections sont aussi des marqueurs de notre personnalité, un « bout » de nous et de notre histoire, une trace de nos connaissances du domaine.
Mais il ne faut pas se leurrer. La nostalgie a aussi un prix et l’industrie l’a bien compris : entre remakes, reboots, portages et consoles virtuelles en tous genres, elle est l’objet d’une instrumentalisation économique qui éprouve le lien émotionnel qui unit un joueur à un jeu (ou à une saga) qu’il affectionne, quitte à saigner son portefeuille. Toutefois, si la restauration coûte cher, elle rend parfois le passé insipide car ne nous mentons pas : les souvenirs n’ont pas toujours la même saveur quand la casserole où ils mijotaient auparavant a été troquée ou abîmée. Ce qui nous manque, souvent, c’est le contexte. Personnellement, j’en ai un paquet en tête et dans le cœur, comme lorsque je jouais à Final Fantasy Crystal Chronicles ou à Tales of Symphonia avec mon petit frère, quand ma maman devait me passer les niveaux aquatiques dans Super Mario 64 parce que j’avais peur de me noyer, quand j’échangeais des Pokémon dans la cour de récré avec les copains de l’école, épaule contre épaule, nos Gameboy reliées par le fameux câble Link. Parfois musées privés dont l’une des fonctions est de sauvegarder la mémoire vidéoludique, nos collections sont aussi des marqueurs de notre personnalité, un « bout » de nous et de notre histoire, une trace de nos connaissances du domaine.
La restauration a évidemment du bon : les joueurs des nouvelles générations peuvent ainsi découvrir les ancêtres vidéoludiques qui ont largement influencé la nouvelle production. Franchement, qui ne serait pas excité à l’idée d’essayer le premier jeu vidéo de l’histoire, la première adaptation Disney, le premier open world, l’ancêtre du platformer, le pionnier du tour par tour, etc. ? Par ailleurs, la nostalgie est fondamentalement sociale : elle structure et anime de nombreuses communautés de joueurs autour du plaisir de redécouvrir les jeux (et les machines) de notre jeunesse, ce que démontrent notamment les chaînes Youtube ou Twitch dédiées au rétrogaming.
Comment susciter un effet de nostalgie chez le joueur?
Pour répondre à cette question, nous pouvons nous saisir du concept de technostalgie que Katharina Niemeyer emprunte à Tim van der Heijden, chercheur en histoire des médias. Il existe deux formes de technostalgie :
- Soit on utilise une technologie ancienne au temps présent, notamment pour exploiter leurs aspects esthétiques et leurs contraintes techniques en respectant une certaine charte d’authenticité (ce qui reviendrait, par exemple, à développer un jeu pour la Megadrive, comme ça a été le cas avec le génialissime Pier Solar and the Great Architects) – c’est la technostalgie-exploitation ;
- Soit, on rejoue les codes du passé, pour imiter leurs aspects esthétiques (ce qu’incarne par excellence la vogue du pixel art) et/ou techniques (une bonne vieille recette éprouvée de combat au tour par tour) – c’est la technolstalgie-imitation.
Ce sont là deux procédés, particulièrement actifs depuis l’engouement pour le rétrogaming, qui permettent de faire du jeu vidéo un « objet de souvenir », entre réminiscence d’une génération et/ou hommage à une œuvre vidéoludique qui a marqué son temps.
Hommage à l’époque 16-bit, Pier Solar and the Great Architects est un RPG sorti en 2010 sur Megadrive, qui a été développé par le studio Watermelon. Vous y suivez le voyage de trois héros, Alina, Edessot et Hoston, partis chercher des herbes magiques pour guérir le père de ce dernier
En complément à ces deux procédés, Katharina Niemeyer évoque les skeuomorphes. Il s’agit, à la base, d’ornements qui ne sont aujourd’hui plus nécessaires mais qui sont toujours reproduits. Les skeuomorphes répondent à la désirabilité sociale ou au réconfort psychologique. On peut penser à un objet en plastique qui imiterait la texture du bois ou du métal : ça fait chic dans les toilettes et c’est moins cher à l’achat (quoique…). Dans le domaine numérique, il s’agit d’emprunts ou d’imitations d’une esthétique particulière : par exemple, un logiciel d’écoute musicale qui imite le design d’une radio comme, à la bonne époque, CoinsHifi ou Quintessential Player.


L’un des premiers avantages des skeuomorphes est de suggérer à l’utilisateur des affordances. L’affordance, c’est la capacité d’un objet ou d’un système à suggérer son utilisation. Les skeuomorphes répondent à des acquis (on sait par exemple, dans une interface musicale, que le triangle symbolise « play » et le carré « stop » ; que, sur l’écran de notre ordinateur, la corbeille permet de jeter des fichiers inutiles, etc.) et peuvent ainsi faciliter l’utilisation des objets manipulés. Les skeuomorphes peuvent toutefois engendrer une charge cognitive inutile avec des agréments visuels peut-être beaux mais peu fonctionnels ; c’est d’ailleurs pour cette raison que ce type d’interface a tendance à être abandonné depuis quelques années.

Certains codes du jeu vidéo sont vieux comme le monde. Croix pour sauter, l’eau efficace contre le feu, le bloc à pousser, le poison qui fait perdre des points de vie à chaque tour, la quête Fedex, etc., sont presque devenus des normes qui, bien que prenant des formes nouvelles (ces dernières devenant des skeuomorphes fonctionnels), restent empruntées à une série de jeux primitifs qui font battre le cœur de la mémoire culturelle vidéoludique et qui, surtout, mobilisent ce que nous avons appris d’un jeu à l’autre, d’une génération vidéoludique à une autre. Le skeuomorphisme participe donc, chez les joueurs, à la construction d’une encyclopédie leur permettant d’apprendre et d’incorporer des codes qui balisent la culture des jeux vidéo. Les skeuomorphes peuvent également être esthétiques : pensez au bon vieux filtre sépia qui donne à vos photos Instagram un look vintage. Le pixel art est une façon de jouer sur la corde nostalgique des joueurs. Et en mêlant l’ancien et le contemporain, des productions comme Octopath Traveler rassemblent des vieux de la veille, touchent de nouveaux publics, honorent le passé tout en faisant vibrer l’actualité éditoriale.

Côté game design, ces stratégies (technostalgies et skeuomorphes) permettent donc, au creux des œuvres vidéoludiques, d’insérer, par emprunt, imitation ou réinvention, des repères qui vont produire chez le joueur un effet de nostalgie. Toutefois, ces repères doivent rester accessibles : si les technostalgies ou les skeuomorphes sont difficiles à décoder, l’effet recherché risque d’échouer. L’easter egg peut également être un bon moyen de rendre l’accès à ces stratégies ludique en mettant le joueur en quête des fonctions cachées au sein du jeu et des clins d’œil adressés au passé.

Fell Seal : Arbiter’s mark
Cette présentation m’amène enfin à vous parler de Fell Seal : Arbiter’s mark. Ce tactical RPG, sorti en 2018, a été développé par le studio indépendant 6 eyes, géré par Pierre et Christina Leclerc. Ces derniers ont notamment travaillé pour le studio Archcraft, à qui l’on doit Black Sigil : Blade of the Exiled sur Nintendo DS et où l’on peut d’ailleurs recruter dans Fell Seal le héros, Kairu). La vocation du couple est de créer des titres fun en 2D, qui allient des outils de conception modernes à des recettes classiques. Le pitch nous propulse sur le continent de Teora, qui fut dévasté quelques siècles plus tôt par la Gueule, une bête démoniaque que des Immortels, aux mystérieux pouvoirs, sont parvenus à maîtriser. Pour éviter que le scénario ne se répète, ces Immortels ont formé un Conseil dont la mission est d’assurer la paix et la pérennité du monde. Pour superviser Teora et parce que ces Immortels ne sont pas assez nombreux, ils comptent sur les Arbitres, qui ont pour mission de protéger les habitants et de gérer les conflits, traquant monstres, bandits et traîtres en tous genres. Kyrie est l’une de ces arbitres et c’est son histoire (et celle de ses compagnons d’armes) que nous suivons : consciente de la corruption qui règne au sein de son ordre, elle va devoir faire face à la nouvelle menace qui pèse sur Teora, tout en rétablissant le sens perdu de la justice.

Le classicisme de la structure narrative de Fell Seal, presque archétypique, est très vite rattrapé par des thèmes matures dont le traitement constitue une fable intéressante sur le sens du devoir et les dérives du pouvoir. Ponctués de quelques touches d’humour bienvenues, plusieurs twists shakespeariens ne manquent pas de rappeler la puissance narrative de Final Fantasy Tactics, premier du nom. Les deux jeux ont d’ailleurs comme point commun de laisser les ambitions politiques et sociales de leurs récits se laisser grignoter par l’avènement de la magie et de l’occulte, sans pour autant altérer la qualité de leurs histoires.
Pour l’anecdote, je suis tombé sur ce jeu en recherchant si une adaptation de Final Fantasy Tactics (la version Advance ayant toute mon affection) était prévue dans le catalogue. Plusieurs blogs épinglaient Fell Seal : Arbiter’s mark comme son digne successeur et le confinement a été l’occasion de me plonger une bonne cinquantaine d’heures dans le titre, switch en main. L’impression de familiarité s’installe en quelques instants : outre des mécaniques de jeu similaires, le motif de l’arbitre dans FSAM apparait rapidement comme un clin d’œil assumé à FFTA : dans ce dernier, des juges imposent pour chaque combat une ou plusieurs lois (ne pas utiliser de magie, n’utiliser que des armes de jet, etc.) qui, sous peine de sanctions, contraignent le gameplay de certaines batailles.
La nostalgie vient peut-être de ce sentiment de puissance que j’ai éprouvé en jouant, comme si mon expérience de Fell Seal : Arbiter’s Mark, en maîtrisant la partition de ses mécaniques, me prouvait que j’avais acquis et dompté les codes du genre. Une sorte de consécration dans ma carrière de joueur.
Au fil des premières sessions de jeu, force est de constater que Fell Seal s’échafaude, tant dans son esthétique que dans son gameplay et sa narration, en charpentant plusieurs skeuomorphes fabriqués à partir de l’essence de ses aînés (auxquels il faut ajouter Tactics Ogres). Toutefois, il parvient à plusieurs égards à s’en émanciper et donne au genre ses lettres de noblesse. Au gré d’une cinquantaine de combats, dont certains sont facultatifs, les mécaniques de jeu nous invitent à gérer une troupe de guerriers que nous déployons dans des combats tactiques qui ne manquent pas de challenge. Il est possible d’attribuer à chaque personnage une classe spécifique (mercenaire, artilleur, sorcier, médecin de la peste, etc.) qui influence sa progression statistique, ses compétences passives (que l’on peut lui réattribuer même s’il change de classe) et les talents qu’il va acquérir. Certaines classes ne sont accessibles qu’à condition d’avoir progressé dans d’autres classes (quelques-unes restent secrètes), et chaque personnage peut profiter, en combat, des talents qu’il a acquis dans une autre sous-classe de notre choix. Il faut dès lors bien réfléchir pour personnaliser notre équipe en vue d’affronter les situations diverses qui se présentent à nous. En outre, une série d’objets, que l’on peut débloquer et améliorer au fil de l’aventure, peuvent être consommés et se rechargent d’un combat à l’autre. Plusieurs choix de difficultés nous sont offerts, adressant le jeu aussi bien aux néophytes qu’aux habitués du genre. La mort d’un personnage n’est pas permanente ; toutefois, en cas de KO, il recevra une blessure (un emprunt à la série vidéoludique XCOM) qui le rendra moins performant dans les futures batailles, sauf si on le laisse se reposer le temps d’une nouvelle expédition. Bien que la plupart des batailles nous demande d’annihiler tous les ennemis, certaines variations imposeront de protéger un personnage particulier, de nous abriter de la menace ou de vaincre le chef du clan adverse.

Comment expliquer l’effet de nostalgie qui se dégage du jeu et qui en fait la saveur ? C’est évidemment une réponse personnelle, un écho aux heures merveilleuses que j’ai passées sur Final Fantasy Tactics Advance : le temps consacré dans Fell Seal : Arbiter’s mark à préparer ma troupe, à l’entraîner et à l’emmener batailler m’a rappelé les belles journées d’été que j’avais consumées du haut de mes 13 ans, à apprivoiser les codes d’un genre pour lequel je me suis ensuite passionné (notamment via des sagas comme Fire Emblem). J’ai ainsi retrouvé dans FSAM le plaisir de dorloter mes personnages pour surmonter les affrontements qui faisaient obstacle à ma progression, cherchant par moi-même les meilleures combinaisons possibles tandis qu’ado, j’avais tendance à compulser les guides pour optimiser mes performances. J’ai ressenti à nouveau la tension de l’effet que mes décisions (relevant parfois du dilemme), prises en dehors du champ de bataille lors des phases consacrées à la préparation de mes troupes, avaient sur l’issue des combats. Comme il était autant grisant d’anéantir les troupes ennemies en quelques tours qu’il était frustrant de succomber aux assauts adverses pour lesquels, malgré mon investissement certain, je n’étais pas encore prêt! Ainsi, d’une certaine façon, la nostalgie vient peut-être de ce sentiment de puissance que j’ai éprouvé en jouant, comme si mon expérience de FSAM, en maîtrisant la partition de ses mécaniques, me prouvait que j’avais acquis et dompté les codes du genre. Une sorte de consécration dans ma carrière de joueur.
En outre, le cœur du game design de FSAM a bien saisi et repris la quintessence qui fait la qualité de ses aînés : l’expérience du joueur qui nait de l’amusement, lui-même nourri par le plaisir de la découverte et de l’expérimentation de combinaisons plus ou moins subtiles de styles de jeu, qui permettent de ravager le champ de bataille… ou pas. Un sentiment intense, un bonheur presque enfantin, que j’ai ressenti après avoir enfin vaincu, à bon niveau de difficulté, un boss qui me barrait la route quelques heures plus tôt.

L’hybridation des personnages, l’une des plus permissive que j’aie pu expérimenter dans un titre du genre, contribue au sentiment de dominer le jeu : les personnages ne souffrent pas d’une progression prédéterminée, ce qui augmente les enjeux du temps consacré à former nos guerriers et qui participe à l’attachement qui nous lie à eux. Je dois tout de même avouer que je suis un joueur qui se lasse vite. Toutefois, dans FSAM, la préparation n’a rien d’ennuyeux et ne souffre pas d’un effet de lassitude ou de répétition : les patrouilles nous permettent de rejouer les niveaux réussis, tout en nous proposant de nouveaux adversaires, plus forts et organisés différemment, ce qui nous invite à revoir nos stratégies, à nous parfaire et à nous adapter.
La voie (et la voix) de la nostalgie semble être un moyen intéressant pour fabriquer du discours autour des jeux vidéo. Assumant et révélant la subjectivité de celui ou celle qui l’évoque, elle raccroche chaque jeu à un réseau d’oeuvres qui permet de saisir la trajectoire de son identité de joueur, de ses goûts et de ses expériences. Une façon aussi, peut-être, de construire une généalogie du coeur.
FSAM est aussi un jeu qui a de l’âme. On le ressent notamment dans la dissonance graphique entre l’esthétique technolstalgique du titre – du pixel art 2D en haute définition qui rappelle FFTA (tout comme la configuration de la caméra) – et les portraits des personnages qui semblent peints à la main. Bien que perturbant au départ, l’écart évoque très rapidement les goûts et le talent de Christina Leclerc et permet au titre de construire son identité bien à lui.
Ainsi Fell Seal : Arbiter’s mark est définitivement un jeu qui a été fabriqué avec le cœur. Par le prisme des technostalgies et des skeuomorphes qui, au cœur de son game design, le rattachent à ses aînés, le titre nous ramène plus d’une décennie en arrière, tout en dominant une partition passéiste mais moderne, qui l’émancipe de ses influences. Pour qui peut s’y raccrocher et les décoder, ces procédés sont autant de repères qui créent un effet de nostalgie, conférant au titre une saveur particulière, qui nous rend à la fois tristes et heureux de le quitter. Par ailleurs, la voie (et la voix) de la nostalgie semble être un moyen intéressant pour fabriquer du discours autour des jeux vidéo. Assumant et révélant la subjectivité de celui ou celle qui l’évoque, elle raccroche chaque jeu à un réseau d’œuvres qui permet de saisir la trajectoire de son identité de joueur, de ses goûts et de ses expériences. Une façon aussi, peut-être, de construire une généalogie vidéoludique du cœur.
Gaël Gilson
Pour aller plus loin :
- Le numéro 46 de la revue Recherches en Communication : Du rétro au néo, entre nostalgie et réinvention. Discours, objets, usages dans les cultures médiatiques contemporaines (dirigé par Sébastien Fevry, Sarah Sepulchre et Marie Vanoost. En ligne : https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/issue/view/3333.
- Heijden, van der, T. (2015). Technostalgia of the Present: From Technologies of Memory to a Memory of Technologies. European Journal of Media Studies, 4 (2), pp. 103-121.
- Niemeyer, K. (2018). Du mal du pays aux nostalgies numériques. Réflexions sur les liens entre nostalgie, nouvelles technologies et médias. Recherches en communication, 46. En ligne :https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/article/view/47213.
- Urbas, B. (2018). De l’étagère à l’écran : Les objets du jeu vidéo vintage sur YouTube. Recherches en communication, 46. En ligne : https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/article/view/47553.
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